Chapitre 1
Les mains recouvertes de sang. Le regard vide. Les idées noires. Les jambes tremblantes. Je n’aurais jamais dû en finir comme ça, mais je n’avais pas le choix.
Je cours sans m’arrêter, sans me retourner. Je ne sais pas ce que je fuis, sûrement le corps que je viens d’abandonner sur la chaussée. Après un moment, je m’arrête. Je me cache derrière une grande maison. Je vois une trappe, je décide de l’ouvrir. Je passe une jambe puis l’autre ; j’essaye de ne rien toucher pour ne pas mettre du sang partout. Je ne vois rien. Sur ma gauche, un interrupteur ; je l’actionne ; une petite lumière s’allume. On peut à peine voir le fond de la pièce. J’entends des bruits à l’étage. Une femme rigole et des petits bruits de pas courent dans tous les sens. J’imagine que je suis dans la cave d’une famille avec un ou plusieurs enfants. Je me dis que je ne devrais pas rester là, mais je n’ai aucun autre endroit que cette simple pièce poussiéreuse et sombre. Ma décision est prise : je resterai jusqu’à ce que je me sente prêt à sortir. Je fouille les cartons à la recherche de quoi me créer un endroit agréable. Je vois un matelas et une simple couverture sous l’escalier. Je dispose les cartons les uns sur les autres pour former comme un mur. Je me cache derrière. Je fouille un peu plus loin et trouve des albums photos. Je me dis que je ne vais pas les ouvrir. Je ne suis pas un psychopathe qui surveille ses prochaines victimes ; d’ailleurs, je ne suis pas un criminel. C’était une fois, et je n’avais pas d’autres solutions. Je me couche, me couvre et écoute ce qu’il se passe dans la maison. Les bruits commencent à s’estomper ; ils sont sûrement en train d’aller dormir. Je ferme les yeux, je me vide l’esprit. Je m’endors.
J’entends la police patrouiller dans la ville, je sursaute. Ont-ils trouvé ce pauvre et malheureux corps que j’ai abandonné ? Je n’ai pas envie d’aller en prison, je ne suis pas un meurtrier, même si mes mains disent le contraire. Les meurtriers sont des gens qui le sont de nature, dans leur tête. Moi, je n’ai eu que cette expérience et je ne me sens pas meurtrier. Au contraire, je me sens comme un libérateur d’âmes égarées. Tout à coup, des images me reviennent ; sa tête, ses yeux remplis de larmes, sa bouche, le relâchement de son corps quand je l’ai laissé tomber. Je me rendors quelques minutes plus tard. À mon réveil, je ne sais pas s’il fait encore nuit ou si le jour s’est levé. Je décide de me lever, de faire mon lit, de rester un homme propre, éduqué. J’aperçois un balai. Je me dis : si je dois rester ici, autant que ça soit propre. J’ouvre la trappe de la cave qui mène sur la rue, je me rends compte qu’il fait encore nuit. Je décide de sortir me promener et de chercher quelque chose à manger. Je longe les murs, de peur que quelqu’un ne me voie. Je trouve un distributeur, le paradis. J’ai très faim, comme si je n’avais pas mangé depuis des années. Je ne sais pas comment je peux accéder à toute la nourriture que contient ce distributeur, je ne sais même pas si je peux appeler ça de la nourriture. Un coup de poing sec et vif casse la vitre. Je ressens une douleur, mais elle me plaît ; je retire ma main et vois que des bouts de verre se sont plantés dedans. Je les enlève d’un coup sec, je récupère les aliments. Je remplis mes poches et me dirige vers l’endroit où je l’ai tué. Arrivé à l’endroit exact, je m’accroupis et regarde le goudron encore maculé de sang coagulé. Des images me passent dans la tête, celles où je ne suis plus le même, où la rage et la passion ont pris mon calme et ma gentillesse. Je m’assois et me dis que je devrais dire quelques mots ; rien ne me vient. Ce que j’ai fait était juste, et ce même si mes mains ont entouré ton cou et ont serré très fort, que mes ongles se sont plantés jusqu’à ta carotide que j’ai cisaillée. Je me lève et retourne dans mon nouveau chez moi, avec cette famille si gentille au-dessus de ma tête. Je dispose mon butin dans un carton et le place dans un coin de la pièce là où il fait le plus frais. Après avoir mangé deux barres chocolatées et bu un quart de cette espèce de boisson énergisante, je me dis que je devrais garder la forme et faire quelques pompes, mais je songe que je n’ai aucune force pour réussir à faire des pompes ; si je tente l’exercice, je me retrouve le nez au sol. Je me dis qu’au lieu de faire le débile et de me blesser encore plus, je vais plutôt feuilleter les albums photos. Je vois deux petites filles aux yeux bleus et au cheveux bouclés, elles ont l’air si heureuses. Sur une autre photo, une femme aux cheveux longs et un monsieur à l’air sérieux.
Chapitre 2
Je me réveille à nouveau, mais cette fois, c’est la porte de la cave qui s’ouvre. Je me cache derrière les cartons et observe. Je vois une des petites filles. Elle descend les escaliers en sautant de marche en marche. Je la vois fouiller dans un des cartons et prendre un jouet, un vieux boulier en bois. Elle remonte et ferme la porte. J’ai cru qu’elle allait me trouver, mais heureusement, ce n’est qu’une enfant uniquement préoccupée par les jeux, les rires et l’amour de ses parents. Si elle m’avait vu, je ne sais pas ce que j’aurais pu faire. Étouffer les pauvres cris de la petite pour que le secret reste entre ces murs ? Mais la disparition de la petite aurait inquiété ses parents et j’aurais été obligé de quitter cet endroit si impersonnel. Je souffle un bon coup et me recouche. Malheureusement, je n’arrive pas à me sortir une idée de la tête. Une idée pourtant si horrible : le petit cou de la jeune fille écrasé, broyé sous la force de mes mains. Plus j’y pense, plus j’ai soif, mais une soif de sang. Je craque. Je fonds en larmes. Je me rends compte que je deviens de plus en plus assoiffé de sang, de meurtre. C’était donc vrai : quand on commence à tuer, on ne peut plus s’en empêcher. Pourtant je ne suis pas un meurtrier, non, je ne veux pas. Ce n’est pas moi ça. Je prends un petit sac de cacahouètes dépassé de date, ma boulimie revient à la surface. Après avoir englouti le paquet, je me couche et je ferme les yeux. Il ne se passe pas un moment sans que je ne pense au cou de ma gentille voisine du dessus. Je m’assoupis.
Je sens quelque chose me caresser la joue. Une main me caresse les cheveux ; ça faisait longtemps que je n’avais pas ressenti autant de douceur. Je me réveille. Je vois un petit visage, une bouille d’ange. Je me rends compte que c’est la petite fille de tout à l’heure. Je m’assois et la regarde. Nous nous regardons pendant un long moment, en silence. Je lui fais signe de ne rien dire à personne. Elle ne me répond pas. Je ne sais pas si je dois lui enlever la vie ou la laisser partir. Je ne suis pas un monstre ; je vais la laisser partir en espérant que le secret reste entre nous. Qui va croire une petite fille qui ne connait encore rien à la vie si elle dit qu’un homme vit dans la cave ?
Je décide de sortir ; la nuit est encore tombée. Je marche dans la rue. J’arrive vers un étang ; l’eau a l’air si bonne. Il me reste encore du sang sous les ongles. Je me déshabille et plonge sans me poser de question. L’eau me détend les muscles, me lave pratiquement de tous mes péchés. Je sors de l’eau en vitesse ; je vois au loin un couple. Tous deux, main dans la main, s’approchent de moi. Je panique. Je n’ai même pas d’endroit où me cacher. Je me faufile dans l’eau et attends que le couple passe devant moi. Je bondis hors de l’eau et brise la nuque des deux tourtereaux. Je cours sans m’arrêter. Je me dis que si je cours assez vite, personne ne me verra. J’ouvre la porte de la cave et me faufile rapidement, mais je trébuche et m’étale par terre le nez sur le sol froid. La fille arrive en courant, affolée par le bruit. Elle m’aide à me relever, elle me montre qu’elle a apporté des fruits, de l’eau, du pain et des bonbons. Je la remercie en la prenant dans mes bras. Je sens son odeur, une odeur agréable, douce. Je ressens une envie, celle de l’étrangler et voir son petit corps se tordre sous ma force. Je ferme les yeux et essaye de chasser mes démons, mon côté sombre. Je la laisse à nouveau partir. Les larmes montent ; je ressens de la colère envers moi-même, je me dis que de me trancher la carotide arrêterait peut-être le monstre qui se tapit en moi. Pourtant je ressens du plaisir quand je tue mes victimes. Les voir souffrir, voir leur regard me supplier de les épargner pour en finir avec eux sans pitié. Ce que j’aime le plus, c’est d’entendre et de sentir quand leur nuque se brise, respirer le dernier souffle des survivants. Je n’ai aucun remords, je satisfais mes besoins et mes envies même si des personnes doivent en payer le prix.
J’entends des bruits venant de devant la porte de la cave. Ce ne sont pas les pas de la petite. Je ne sais pas quoi faire ni où me cacher. J’entends une voix grave, sûrement celle du papa. Je panique, je sens le stress monter en moi. Mon cœur bat la chamade. C’est comme ça que ma vie va se finir, dénoncé par la petite fille. Je n’aurais jamais dû l’épargner. J’essaye de me concentrer et de trouver une solution, mais l’adrénaline m’empêche de réfléchir. La porte s’ouvre, je suis tétanisé sur place, je ne peux plus bouger.
Mais d’un coup, je sursaute, je me réveille dans mon lit. Ce n’était qu’un cauchemar. Mon boulot me hante trop. Je devrais songer à changer de travail. Ça fait des années que je suis dans la police, il est temps de prendre ma retraite.