Regardez, Mère ! Là-haut, une cigogne ! Blanche comme la colombe. Que tient-elle ? Suis-je arrivée ainsi, transportée dans un tissu à bout de bec ? Une rose, vous dites. J’avais un pétale collé sur le front. Et mon frère, Mère? Comment est-il né ? Quelle histoire, jamais je n’aurais pensé aux choux ! Quelle chance nous avons, Mère. Nés dans un jardin florissant. Et dire que certains ne connaissent que les cendres. Ou les cartons dans les rues. Des nourrissons de suie. Que cela doit être dur. Et l’ethnie n’y fait rien. Une petite pièce, madame, pour mon enfant. Il faut le soigner, il est terriblement malade. Il ne peut pas marcher. Rendez-vous-en compte, ses jambes sont déformées. Une pièce, s’il vous plaît. Ou un quignon de pain, n’importe quoi ! C’est épouvantable. Leurs jours doivent être si gris. Ils n’ont pas demandé de vivre leur vie ainsi. Leur vie, cadeau gracié des cieux. Mais ils gardent la foi. Que Dieu les bénisse, puisse-t-Il les aider dans sa miséricorde ! Un jour peut-être pourront-ils se relever de leurs premiers pas. La terre est piétinée. Tout le monde ne naît pas dans un endroit qui y est dédié. Le Fils même de Dieu est né dans une étable. Réchauffé par les bœufs. Quelle histoire.
Venez, Mère, prenons cette rue. Elle contourne les mauvais quartiers. Mais oui, vous savez, ils chantent tout le temps. Très fort. Des rythmes endiablés à toute heure. Ils ont même des petits tambours. Je suis sûre que leurs enfants naissent dans des tambours. Oui, ça doit être cela. Un enfant dans un tambour.
Dites-moi Mère, avez-vous entendu ce que l’on raconte ? L’on dit que la princesse se serait amusée avec un autre que le sien. Vous imaginez ? Et certains disent plus encore. L’on dit qu’elle aurait volé le jour de sa jeune pousse. Même pas né qu’elle aurait coupé le bourgeon de rose ou de chou. Aucune chance ne lui a été laissée. Un enfant bâtard. Illégitime. Quelle honte cela pourrait être pour la Reine ! Comme si elle n’avait que ça à faire. Sermonner sa fille qui ne sait pas se tenir. Incompétence d’éducation, croyez-moi. Oser être ainsi, née avec un rang social si important. Royauté ? Bêtises, bêtises.
Oui, nous y sommes bientôt. L’église n’est plus très loin. Est-ce que vous y croyez, Mère? Les Hommes naissent égaux. Je ne sais pas. Pauvres, valides, sans famille ou fidèles de Dieu. Je ne sais pas. Et Dieu, le sixième jour, créa les Hommes. Tous légitimes à ses yeux. Produits de la terre. Purs à leurs débuts. Ça se complique ensuite. Misérables et vulnérables. Pour une pomme, voyez cela. Mais je ne sais pas. Voilà ce que j’en pense. Les flammes de l’enfer sont les mêmes pour tous. Nos âmes y brûlent toutes ensemble. Ironie du sort si l’on y pense. Puisque voyez, je réfléchis. La rose peut se vêtir de couleurs différentes. Il existe un tas de sortes de choux. Ce sont des produits de la terre. Ils poussent partout. Faciles à cultiver. Certains sont plus riches en couleurs. D’autres plus chétifs, malformés. Mais ce sont des produits de la terre. La terre donne à tous pareil traitement. Malheureusement ceux qui la travaillent ne sont pas aussi cultivés. Ils coupent les roses trop épineuses. Ils jettent les choux qui ont une feuille un peu plus grise qu’une autre. Mais une rose est une rose. Un chou est un chou. Ce sont des produits de la terre. Egaux en tous points. Et pourtant, et pourtant.