Fasciné,
fasciné je le suis par l’immensité de l’univers. Fasciné je l’ai été devant les somptueux paysages écossais. Fasciné je le suis aussi et surtout quand je contemple la diversité et la complexité certainement infinie et indomptable de l’être humain. Ses créations, de la Burj Khalifa aux temples Maya, de Voltaire à Hitler, du christianisme à l’hindouisme, permettent de prendre la mesure de cette incroyable et parfois effroyable capacité de recherche, d’adaptation et de création de l’esprit humain. Pourtant de toutes ces choses, une en particulier se détache : la capacité langagière de l’Homme. Cette dernière est la pierre angulaire de notre société moderne. C’est à travers elle que la transmission à nos enfants, de l’inestimable héritage scientifique, philosophique et littéraire de l’humanité est possible. Chez aucune autre espèce vivante, le développement d’une telle aptitude n’a été observé, ce qui dénote bien le caractère unique et central de cette compétence, malheureusement attaquée de toute part par une multitude d’acteurs peu scrupuleux.
Vous n’imaginez pas à quel point notre langue est malmenée par une société paresseuse et gourmande en simplicité et en confort. Nombreux sont ceux qui veulent débarrasser la langue de Molière de tout ce qui fait sa richesse et sa beauté : l’accent circonflexe et le trait d’union notamment. On observe également une diminution du niveau de langue dans certains livres pour enfants. Grossière erreur ! Toutes ces subtilités langagières sont d’une importance capitale. C’est grâce à ces dernières que nous pouvons avec aisance exprimer nos besoins, nos sentiments, nos envies et nos luttes. Notre culture et notre identité, forgées durant des siècles par nos ancêtres, sont comme gravées dans la roche de notre langue, par le biais de notre vocabulaire, de notre accent et des particularités stylistiques de notre rhétorique.
Le cri ! Oui je parle bien du cri, est certainement l’expression de langage la plus violente et brutale. Il est aussi un acte belliqueux et hystérique qui cache le plus souvent un manque cruel de clairvoyance et d’arguments. Le cri empêche et tue le débat. La forme est certes nécessaire et doit sublimer le fond, mais elle ne doit en aucun cas l’étouffer. Car chez beaucoup d’orateurs, la puissance de leurs aboiements est inversement proportionnelle à la qualité et à la pertinence de leurs arguments. Le cri n’est selon moi qu’une ombre portée à la Lumière de l’intelligence humaine. Il est généralement le signe d’une radicalisation de la parole et du discours, ce qui n’apporte évidemment rien de bon aux vertus de votre rhétorique. Observez les mouvements féministes, certes les causes défendues sont nobles, mais dans leurs actions, l’hystérie et la haine ont depuis longtemps supplanté la rationalité, et leur rhétorique autrefois si belle, s’est maintenant métamorphosée en un long cri inaudible et décadent.
Il serait enfin temps de remettre au centre du débat : l’échange, la subtilité, le compromis, l’écoute et la rationalité. Ne laissez pas ces populistes insensés et leurs discours chargés d’aberrations haineuses envahir votre esprit. Battez-vous pour votre terre, battez-vous pour vos valeurs, mais battez-vous avec intelligence et ne laissez jamais un cri vous emporter dans les épineuses entrailles de l’extrémisme.
Rappelez-vous toujours que le monde n’est ni tout noir ni tout blanc, mais qu’il est constitué d’une infinité de nuances de gris, teinté par moment de bleu, de vert, de pourpre et d’orange, mais aussi de rancœur, de peine, de solitude, d’espoir, de joie et surtout d’amour.
Mes propos sont emplis d’une certaine radicalité et nécessitent donc l’apport indispensable d’un soupçon de nuance. Le cri, qu’il soit de douleur, de colère, de désespoir, d’amour ou de joie, est une expression presque bestiale découlant de notre instinct primitif de survie.
Le cri, c’est l’expression du désespoir des prolétaires affamés, ayant germé dans les entrailles brûlantes de la terre, battant furieusement le pavé animé d’une destructrice envie de revanche, avec à leurs têtes de valeureux hommes gavés d’une merveilleuse doctrine marxiste.
Le cri peut aussi être la conséquence d’une vive douleur, infusant dans tout le corps le besoin de s’affranchir de la fatalité d’un monde impitoyable. C’est le rugissement rauque de l’archer, pitoyablement embroché par une longue lance de fer forgé. —
Le temps ralentit inlassablement, la vue se voile, l’ouïe s’étouffe, le sang chaud coule langoureusement, les souvenirs défilent… Puis tout s’emballe, dernier souffle, dernière pensée à celle qui l’aime, et tout s’éteint.
Le néant s’installe.
Le cri peut aussi prendre une tournure plus glorieuse et heureuse. C’est l’extériorisation de la joie de l’alpiniste, crevant le silence religieux de la montagne afin d’exprimer son ivresse des sommets. Néanmoins ce cri n’a pas vocation à être entendu, il est le pur produit d’une vive émotion incontrôlable.
Me rappelant les actes du valeureux Leônidas, le rugissement de notre chère professeure de français, obligée de se hisser avec fureur sur le bureau pour que sa horde de penseurs enragés et affamés de littérature l’écoute, a fait naître, dans les profondeurs les plus sombres de l’esprit de l’un d’entre nous, une imperceptible lueur. D’abord réduite au silence par sa doctrine utilitariste et par une immuable mollesse, cette infime flamme a progressivement démarré sa conquête, embrasant la moindre parcelle de son corps et de son esprit, attisée par un macabre sens de l’insolence et par un puissant besoin de vengeance. Capitaliste, il ne l’est pas ! S’effacer paresseusement devant un obstacle, ça ne lui ressemble pas ! Porter haut les couleurs de l’amour, de la science, de la rationalité et du respect des valeurs humaines fondamentales, sempiternellement il le fera !
Ce bas homme, à présent transfiguré,
En un conquérant, libéré de son bâillon,
Peut maintenant, avec sérénité,
Parachever sa surprenante création.
Bastien Testaz